Thales vs VMware : Le juge des référés impose à l’éditeur l’exécution forcée du contrat !

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C’est une décision qui sonne comme un avertissement pour les éditeurs de logiciels: le tribunal de commerce de Paris a ordonné à l’éditeur de logiciels de virtualisation VmWare de poursuivre l’exécution d'un contrat de licence globale jusqu'à son terme, malgré un changement récent de modèle de vente de ces licences. Cette décision, rendue le 19 juillet 2024, rappelle aux éditeurs et autres acteurs économiques qu’un changement unilatéral de politique commerciale ne peut balayer d’un revers de main les engagements contractuels en vigueur.

Retour sur cette affaire révélatrice des exigences de stabilité dans les relations commerciales établies.

Quand VMware bouleverse les règles du jeu et provoque la réaction de Thales…

Tout commence en novembre 2023, lorsque Broadcom finalise l’acquisition de VMware, un acteur clé dans le domaine des logiciels de virtualisation. Dans la foulée, Broadcom annonce en décembre un changement radical : fin des licences perpétuelles au profit d’un modèle basé sur des abonnements mensuels, vente en paquet des licences (en « bundle »), et naturellement augmentations tarifaires conséquentes. Ces changements, qui devaient prendre effet le 1er janvier 2024, suscitent l’inquiétude et l’insatisfaction parmi les clients fidèles de VMware.

Le 11 décembre 2023, soit juste avant le changement de ces pratiques commerciales, Thales, client historique de l’éditeur, passe une commande pour des licences perpétuelles représentant un montant de 5.846.642 euros HT, dans le cadre d’un contrat de licence d’entreprise globale (Entreprise License Agreement – ELA) conclu en 2022.

Toutefois, VMware refuse la commande, prétextant que le programme de licences perpétuelles est désormais obsolète, conformément à son communiqué du 12 décembre 2023.

Pourtant, Thales est liée à VMware par plusieurs contrats, dont le contrat de Licence d’Entreprise Globale (ELA) relatif à la vente de licences perpétuelles de Licences Globales, signé en janvier 2022 et renouvelé jusqu’au 30 mars 2025.

Thales décide alors de saisir le juge des référés pour faire valoir ses droits, et surtout pour obtenir l’exécution forcée du contrat jusqu’à son terme.

Un rappel essentiel : un contrat est un contrat, même pour les éditeurs !

Le 19 juillet 2024, le tribunal de commerce de Paris fait droit à la demande de Thales.

Le juge estime d’une part que « VMware ne fait état d’aucune disposition contractuelle lui permettant de mettre fin de façon anticipée au contrat en cours » et d’autre part que « le communiqué de VMware à ses clients est inopérant et ne saurait permettre à VMware de se soustraire à ses engagements contractuels ». En d’autres termes, une Partie ne peut modifier unilatéralement un contrat, ce qui est un principe de base du droit des contrats ; sauf à ce que cette possibilité soit aménagée dans le contrat lui-même, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Le juge relève également que VMware n’a pas proposé de solution alternative, comme la redirection de Thales vers un autre revendeur, alors même que les volumes de contrat en jeu sont considérables.

Par voie de conséquence, le tribunal ordonne l’exécution forcée de l’article 22 du contrat ELA, sous astreinte de 50.000 euros par jour de retard ou par infraction constatée.

A noter que le juge des référés a en revanche écarté la demande de Thalès de maintien du contrat de partenariat, qui lui permettait de revendre des licences à ses propres clients, en estimant que ce contrat pouvait être dénoncé à tout moment, moyennant un préavis de trois mois. Pourtant, il n’existait pas de trace de cette résiliation dans le dossier. Est-ce à dire que le communiqué du 12 décembre 2023 valait résiliation implicite du contrat ? La décision laisse quelque peu sur sa faim sur ce point.

Quoi qu’il en soit, cette décision constitue un signal fort à destination des éditeurs de logiciels, d’autant plus lorsqu’ils sont en position dominante. Le tribunal rappelle que l’autonomie dans la politique commerciale, si légitime soit-elle, ne saurait justifier des ruptures unilatérales des engagements contractuels.

Les nouvelles politiques commerciales des éditeurs, aussi ambitieuses soient elles, ne peuvent ainsi primer sur les engagements valablement consentis par les parties.

En faisant droit à la demande de Thales, le tribunal réaffirme un principe pourtant fondamental : la stabilité contractuelle est le pilier incontournable des relations commerciales.

Article rédigé par Mme Nesrine Fellah, avec le concours de Josquin Louvier