LES MARQUES FREE, C'EST PAS TOUT COMPRIS

DROIT DES MARQUES
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En matière de marques, détenir un portefeuille de plusieurs marques connues et surveiller la concurrence est une chose, réagir à temps pour protéger et consolider son actif immatériel en est une autre.

La société FREE, très célèbre opérateur de télécommunications en a récemment fait les frais à l’occasion d’un litige l’opposant à une société FREE SBE, pour lequel la Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt le 14 janvier 2022[1].

En 2018, la société FREE, se fondant sur trois marques « FREE » (deux marques verbales, et une marque semi-figurative), avait sollicité la nullité d’une marque « FREE SBE », déposée par la société du même nom en 2012, ainsi que l’interdiction pour cette dernière d’exploiter ce signe, et sa condamnation à lui verser des dommages-intérêts au titre de son exploitation passée.

Déboutée de l’ensemble de ses demandes en première instance, la société FREE a interjeté appel.

La Cour d’appel de Paris a confirmé le jugement de première instance, et a rejeté à nouveau l’ensemble des demandes formées par la société FREE.

La Cour a tout d’abord rejeté la demande de nullité de la marque « FREE SBE », en estimant que la société FREE aurait dû agir plus tôt, dès lors qu’elle ne pouvait ignorer que le dépôt de cette marque était intervenu en 2012.

La Cour a également considéré que la société FREE ne pouvait plus se prévaloir de ses marques pour les produits et services qui, même s’ils étaient visés dans les dépôts, n’étaient pas exploités en réalité par cette dernière.

Enfin, la Cour a jugé que la société FREE, malgré la renommée incontestable de ses marques, ne pouvait les opposer aux tiers pour des produits et/ou des services qu’elles ne viseraient pas formellement dans leurs dépôts.

Cet arrêt démontre que la renommée d’une marque, si elle permet l’extension de sa protection, ne permet toutefois pas de s’affranchir des contraintes habituelles du droit des marques (1), il rappelle également que le titulaire d’une marque doit toujours se défier de l’écoulement du temps qui le menace en permanence, soit en lui retirant le droit d’agir contre les contrefacteurs (2), soit en lui retirant tout simplement ses droits sur la marque (3).

 

  1. L’extension limitée de la protection conférée aux marques renommées

 

Détenir une marque très connue est une chose, pouvoir l’opposer aux tiers, afin d’en revendiquer un monopole sans limite en est une autre.

En théorie, le recours au concept de marque renommée devrait permettre de s’affranchir du principe de spécialité du droit des marques.

En effet, en principe, une marque ne vaut que pour les produits et services visés au dépôt, et uniquement ceux qui sont réellement exploités par son titulaire ou un ayant-droit.

L’ancien article L.713-5 du Code de la propriété intellectuelle estimait en effet, dans sa rédaction antérieure à l’Ordonnance du 13 novembre 2019, que la renommée d’une marque permettait à son titulaire de s’opposer à sa reproduction ou à son imitation pour des « produits et services non-similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ».

Toutefois, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, après avoir jugé que les marques « FREE » étaient renommées, a estimé que l’exploitation de la marque « FREE SBE » ne leur portait pas atteinte au regard des différences de nature et d’objet de l’activité de la société FREE SBE par rapport aux services proposés par la société FREE, et que le public concerné ne risquerait donc pas de croire qu’il pourrait exister un lien ou un partenariat entre ces deux sociétés.

 

  1. La connaissance de la marque déposée par le prétendu contrefacteur empêche d’agir en nullité

La Cour a estimé que la société FREE ne pouvait ignorer qu’une demande d’enregistrement de marque « FREE SBE » avait été publiée au Registre National des Marques le 15 février 2013, et qu’elle aurait donc dû agir en nullité dans les 5 années suivant cette date, faute de quoi sa demande devenait irrecevable.

Il est intéressant de noter que la Cour renverse ici la charge de la preuve de la connaissance, par le titulaire de la marque antérieure, du dépôt de la marque seconde.

Habituellement, il appartient à celui qui dépose une marque seconde de rapporter la preuve de la date à partir de laquelle le titulaire de la marque antérieure ne pouvait ignorer le dépôt litigieux. Il est de jurisprudence constante que la simple publication de la demande d’enregistrement ne vaut pas, à elle seule, preuve de la connaissance par le titulaire de la marque antérieure du nouveau dépôt.

Ici, la Cour présume que la société FREE avait nécessairement eu connaissance de la publication de la demande d’enregistrement de la marque « FREE SBE », ou du moins, ne pouvait l’ignorer au regard des moyens habituellement mis en œuvre par ses soins pour défendre sa marque. 

 

Nous pouvons en déduire qu’au-delà de la mise en œuvre de processus de surveillance des nouveaux dépôts, il est primordial d’agir rapidement contre les nouvelles marques qui pourraient porter atteinte aux marques dont on est titulaire, sous le risque de ne plus pouvoir agir à leur encontre, une fois expiré le délai de cinq ans.

 

  1. Le défaut d’exploitation des produits et services visés dans la marque entraine la déchéance de cette dernière

L’obligation d’exploiter implique, pour tout titulaire d’une marque, le risque de voir la marque déchue pour les produits et/ou services qui n’auraient pas fait l’objet d’un usage sérieux pendant une durée de plus de cinq années.

L’arrêt du 14 janvier 2022 vient le rappeler de façon ferme, en considérant notamment que les différents produits et/ou services visés par le dépôt ne sont pas substituables entre eux. La Cour d’appel de Paris refuse ainsi de considérer que la location d’espaces publicitaires puisse s’assimiler à des services de courtage.

La Cour rappelle ainsi la rigueur nécessaire qui doit guider la rédaction des libellés de produits et services lors d’un dépôt de marque. En effet, les produits et/ou services visés doivent recouvrer avec précision l’exploitation présente et à venir de la marque.

 

A ce titre, n’hésitez pas à nous solliciter afin de vous guider dans le dépôt de vos marques, ou de nous interroger afin que nous dressions un audit de votre portefeuille de marques.

 

Pierre BRASQUIES

Avocat associé

 

[1] CA Paris, Pôle 5 – Chambre 2, 14 janvier 2022, RG 18/05243.