Pas de retour à la case départ pour MONOPOLY
Agir de mauvaise foi, peut-être, mais à condition de ne pas abattre ses cartes.
En 2011, la société HASBRO devient titulaire de la marque européenne MONOPOLY qui couvre un ensemble de produits et services (jeu, divertissement, matériel de papeterie etc.) pour lesquels elle était déjà titulaire de marques distinctes depuis 1996, 2008 et 2010.
La société HASBRO fait obstacle à l’enregistrement de marques déposées par des sociétés tierces reprenant la syllabe POLY (tel que DRINKOPOLY) par la procédure d’opposition sur le fondement de sa marque MONOPOLY de 2011.
En guise de réponse à cette opposition, une société soulève la nullité de cette marque MONOPOLY de 2011 en invoquant la mauvaise foi du déposant lors du dépôt. En effet, elle considère que ce dernier ne visait qu’à allonger la durée de protection de la marque tout en s’abstenant de ramener les preuves d’usage exigées dans les procédures d’opposition.
La demande de nullité a été rejetée par la Division d’Annulation de l’EUIPO (l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle), puis a finalement été accueillie par la seconde Chambre de recours le 22 juillet 2019.
Le Tribunal de la Cour de Justice de l’Union Européenne saisi par HASRBO rend une décision le 21 avril 2021 dans laquelle il énonce que le dépôt réitéré d’une marque n’est pas de nature, en tant que tel, à établir la mauvaise foi du demandeur.
Toutefois, si l’avantage qui justifie le dépôt repose sur le fait de ne pas avoir à apporter la preuve de l’usage sérieux de la marque, ce comportement doit être considéré comme contraire aux principes régissant le droit des marques de l’Union Européenne et à la règle relative à la preuve de l’usage.
Ce comportement consiste à contourner des règles de droit et caractérise la mauvaise foi du déposant.
Tel est le cas en l’espèce. Un faisceau d’indices permette de considérer que le déposant ne ramène aucune explication plausible à ce dépôt réitéré, et qu’il n’est pas en mesure de justifier sa logique commerciale, pour en conclure à sa mauvaise foi.
La marque MONOPOLY de 2011 est annulée. Il est donc impossible pour HASBRO de faire obstacle à l’enregistrement de la marque contestée à défaut de pouvoir bénéficier du délai favorable de 5 ans postérieur à l’enregistrement et à défaut de pouvoir ramener des preuves d’usage des marques déposées antérieurement dans le délai de 5 ans avant la demande d’opposition.
En matière d’opposition, il appartient à celui qui entend contester l’enregistrement d’une marque par une procédure d’opposition de ramener la preuve de l’usage de sa marque, elle-même enregistrée depuis plus de cinq ans, dans les cinq années précédant la date de dépôt ou la date de priorité de la demande d’enregistrement contestée (art. L712-5-1 du CPI).
A contrario, pour les marques qui ne sont pas enregistrées depuis plus de cinq ans, la preuve de cet usage n’a pas à être ramenée.
On comprend ici qu’il a été reproché à la société HASBRO d’avoir déposé de nouveau la marque MONOPOLY en 2011, pour des produits et services déjà protégés par ses marques dans le seul but de bénéficier du délai favorable de cinq ans au cours duquel il n’avait pas besoin de ramener la preuve d’usage de sa marque.
Or, le dépôt d’une marque dans l’intention de faire opposition à la marque d’autrui en s’extrayant des obligations procédurales et de preuves en matière de droit des marques est constitutif de mauvaise foi. La marque déposée de mauvaise foi peut être annulée et n’est plus opposable aux tiers.
Indépendamment des motifs qui animent le dépôt d’une marque, il appartient aux déposants d’être vigilants quant au contexte et à la manière dont ils expriment leurs intentions lors du dépôt.
Cette décision rappelle l’importance d’exploiter sa marque une fois enregistrée. L’exploitation est nécessaire, faute de quoi, une action en déchéance pourrait être opposée à son titulaire et il ne sera plus possible de compter sur le dépôt réitéré pour exploiter sa marque.
De plus, il est primordial de conserver précieusement les preuves d’usage de la marque, puisqu’au regard des dernières décisions, il deviendra de plus en plus difficile de contourner l’obligation de fournir ces preuves.
On retiendra que la mauvaise foi est la carte qu’il ne faudra plus jouer à l’avenir.
Apolline BERNARD