DROIT DU NUMERIQUE : COMMENT FAIRE ANNULER UN CONTRAT DE LOCATION DE SITE INTERNET ?
La numérisation de la vie économique implique la nécessité pour la plupart des professionnels de se doter d’un site internet. Sans avoir besoin de se doter d’un véritable site marchand, de nombreux artisans se tournent vers des prestataires informatiques afin qu’ils leur constituent un site vitrine, présentant les services qu’ils sont amenés à rendre. C’est ainsi qu’un nouveau type de prestataire est apparu, ciblant précisément les artisans afin de leur proposer un contrat de création de site internet, qu’ils mettent à leur disposition sous la forme d’une location.
Le processus est connu : en proposant cette formule, le prestataire joue sur le faible coût de l’opération, puisque l’artisan ne devra payer que des loyers mensuels correspondant à des prestations annexes, plutôt que de verser une somme plus importante s’il souhaitait faire l’acquisition du site ainsi créé.
Néanmoins, ce schéma contractuel est loin d’être neutre pour l’artisan : si on lui donne l’impression de lui « offrir » son site internet, sous réserve qu’il paie ses loyers mensuels, celui-ci n’en sera jamais le propriétaire réel, et se retrouvera enfermé dans l’exécution d’un contrat qui se révélera toujours désavantageuse par l’écoulement du temps. En outre, les sites ainsi conçus présentent rarement les mêmes qualités d’un site créé sur mesure, et dont les droits ont été cédés en bonne et due forme. Le site ayant été gracieusement « offert » à l’artisan, il ne saurait en contester la qualité.
De plus, on constate généralement que le prestataire s’empresse de céder sa créance à un établissement financier qui se chargera du recouvrement des échéances mensuelles.
Enfin, le prestataire réserve généralement le nom de domaine du site ainsi créé à son nom, et non à celui de l’artisan, afin de maintenir ce dernier captif.
Les artisans qui ont souscrit ce type de contrat se retrouvent ainsi coincés : ils ont conclu un contrat, sans nécessairement en lire l’ensemble des mentions, et se voient contraints de payer les mensualités, faute de quoi le prestataire les menacera de désactiver le site, dont il conservera le nom de domaine, et l’établissement financier les menacera d’exécution forcée.
Les artisans peuvent-ils revendiquer l’application du droit de la consommation afin de se libérer de ce type de contrat ?
Force est de constater que les juridictions du fond adoptent des positions souvent divergentes en la matière, généralement dictées par la situation des artisans.
Traditionnellement, on considère que les dispositions du Code de la consommation ont pour objet de protéger le consommateur face au professionnel qui cherche à lui vendre des produits ou des services, notamment lorsque cette vente se conclut à distance, et par conséquent, que les contrats conclus entre professionnels n’en bénéficient pas.
Toutefois, l’article L.221-3 du Code de la consommation prévoit que certaines dispositions sont applicables aux professionnels, lorsque le contrat en jeu n’entre pas dans son champ d’activité principale, et qu’il emploie moins de cinq salariés. Ces dispositions ont trait à l’obligation d’information précontractuelle, à la remise d’un exemplaire du contrat lorsque celui-ci est conclu hors établissement, et enfin, à l’exercice du droit de rétractation.
La Cour d’appel de Grenoble a rendu récemment deux décisions à ce sujet.
Le premier arrêt, daté du 6 octobre 2020, concernant un carreleur exerçant en nom propre, a admis l’application des dispositions du Code de la consommation à l’artisan, ce qui lui a permis d’obtenir la nullité du contrat, en raison de l’absence de remise d’un document contractuel. Cette nullité ouvre le droit pour l’artisan de se voir restituées l’ensemble des sommes versées au prestataire, ou à l’établissement financier auquel le contrat avait été cédé.
Le second arrêt, daté du 29 octobre 2020, concernant un garagiste exerçant en société, a refusé l’application de ces dispositions, au motif que les dispositions invoquées ne s’appliqueraient qu’aux personnes physiques, et que le contrat aurait un rapport direct avec l’activité du professionnel.
Ainsi, on constate que la solution sera bien plus rigoureuse pour les artisans exerçant en société que pour ceux exerçant en leur nom propre.
En tout état de cause, et avant de s’engager dans ce type de contrat, il parait sage d’en avoir une lecture attentive et de se méfier d’une offre qui paraîtrait trop intéressante de prime abord. En la matière, il vaut mieux souvent payer davantage pour obtenir un site dont on est propriétaire, que d’opter pour l’illusion de la gratuité.
Pierre BRASQUIES