La notoriété n'est pas un critère du risque de confusion
L’actualité du droit des marques de ces derniers mois a été marquée par l’arrêt rendu le 11 juin 2020 par la Cour de justice de l’Union européenne, particulièrement riche d’enseignements sur le rôle attribué à la renommée d’une marque antérieure dans le cadre d’une opposition formée à l’encontre d’une demande d’enregistrement de marque.
En 2014, la société China Construction Bank Corp a demandé l’enregistrement d’un signe figuratif , notamment pour des services d’« affaires monétaires » et d’« affaires bancaires ».en tant que marque de l’Union européenne. Le Groupement des cartes bancaires a formé opposition à cet enregistrement, sur le fondement de la marque de l’Union européenne figurative , enregistrée depuis 1999.
L’Office européen, considérant notamment qu’il existait un risque de confusion en s’appuyant sur la prétendue renommée de la marque , a fait droit à l’opposition, et a par conséquent refusé d’enregistrer la marque .
La société China Construction Bank Corp a formé un recours devant le Tribunal de première instance de l’Union européenne, recours rejeté par ce dernier.
La société China Construction Bank Corp n’a eu d’autre choix que de former un pourvoi auprès de la Cour de justice de l’Union européenne, en vue de faire annuler cet arrêt, et par voie de conséquence, la décision de l’Office européen.
L’arrêt qui en est résulté est particulièrement important, en ce qu’il permet de replacer le rôle de la notion de renommée à sa juste place dans le droit des marques.
La Cour condamne de façon nette l’utilisation de la renommée comme élément d’appréciation de la similitude entre les marques en présence : « Il est, par conséquent, erroné en droit d’évaluer la similitude des signes en conflit en fonction de la renommée de la marque antérieure ».
En outre, la Cour retient le principe d’une analyse globale de la renommée de la marque lorsque celle-ci est avancée : « la renommée d’une marque verbale fortement stylisée, comme la marque antérieure en cause, se fonde précisément sur une connaissance, par une partie significative du public pertinent, de l’ensemble des éléments, tant verbal que figuratif, qui composent cette marque ».
Elle en déduit que l’approche doit être différente lorsqu’il s’agit d’apprécier les similitudes entre les deux signes en présence, cette appréciation devant se baser sur l’élément distinctif dominant de la marque antérieure.
Cet arrêt rappelle également que le caractère distinctif d’une marque, comme sa renommée, doit s’apprécier pour chacun des produits et services identiques et/ou similaires : en l’espèce, l’Office européen, comme le Tribunal de première instance, s’étaient contentés de constater le caractère distinctif suffisant et la renommée de la marque pour les services permettant de réaliser des transactions bancaires, constituant une sous-catégorie de services, sans les analyser pour les autres services, et notamment pour les catégories plus générales de services, comme les « affaires monétaires » et les « affaires bancaires ».
On se satisfera de ce que cet arrêt ramène à une certaine orthodoxie dans l’application des notions spécifiques au droit des marques, et on rappellera le soin avec lequel il convient de rédiger les libellés de produits et services lors du dépôt, afin de les adapter le mieux possible à l’exploitation envisagée.
Pierre BRASQUIES