Crise sanitaire et renégociation des contrats, épisode 1: la Force Majeure
Le gouvernement a beaucoup communiqué sur le fait que l’épidémie de « Covid-19 » serait considéré comme un « cas de force majeure » (communiqué du Ministre de l’Economie du 28 février 2020).
Sans doute cette affirmation peut-elle servir les entreprises engagées dans des contrats ou marchés publics, pour interpréter ou faire jouer les clauses de force majeure qui peuvent y figurer (ou pour échapper à des pénalités de retard).
Mais qu’en est-il exactement, du point de vue du droit commun des contrats ?
L’article 1218 du Code Civil définit la force majeure comme suit :
Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.
On retrouve ainsi les 3 critères traditionnels de l’événement de force majeure à savoir : le caractère extérieur aux parties, l’imprévisibilité, et le caractère insurmontable.
La force majeure peut d’abord être mieux définie dans le contrat. Les « épidémies » ou « pandémies » sont ainsi souvent visées, dans les clauses ad’hoc, comme des événements relevant de la force majeure. Dans ce cas, il suffit de faire application du contrat : l’épidémie de « Covid-19 » ayant été qualifiée de « pandémie » par l’OMS, la clause pourra être invoquée par le partenaire souhaitant suspendre ses obligations, sous réserve des autres conditions
Qu’en est-il en l’absence de clause ?
Si on applique ces 3 critères à l’épidémie actuelle :
- Le caractère extérieur aux parties ne fait guère de doutes, puisqu’il s’agit d’un virus qui, par hypothèse, n’a pas été fabriqué par l’une des parties au contrat et dont on ignore d’ailleurs l’origine exacte ;
- Le caractère imprévisible dépendra de la date du contrat : la plupart des auteurs juridiques considèrent désormais que l’événement ne pouvait raisonnablement plus être imprévu ou imprévisible à compter de la date du confinement (16 mars), voire à la date du 12 mars, à laquelle la fermeture des établissements scolaires a été ordonnée. C’est d’ailleurs cette date du 12 mars qui est retenue dans l’ordonnance du 25 mars 2020 sur la suspension et la prorogation des délais de procédure.
- Enfin, last but not least, le caractère insurmontable de l’événement de force majeure risque d’être le principal point d’achoppement.
En effet, il faut rappeler que la force majeure s’apprécie par rapport à une obligation donnée, et non par rapport à un contrat dans son ensemble.
Or, la jurisprudence considère traditionnellement que le débiteur d’une obligation de paiement (en substance, le client) ne peut invoquer la force majeure, car aucun événement, aussi impactant soit-il ne peut « empêcher » le client de payer (Cass. Com. 16 sept.2014). Si cette partie est en cessation des paiements, elle doit demander le bénéfice d’un placement en sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire, ce qui aura pour effet de suspendre les créances antérieures, mais c’est indépendant de la notion de force majeure.
On voit donc que la force majeure ne peut être un moyen pour celui qui doit payer de renégocier le prix d’un contrat ou de suspendre son paiement.
En revanche, la notion reste pertinente pour la partie qui est tenue de livrer un bien ou d’effectuer une prestation (par ex., livrer une application mobile, finir un chantier de peinture, fabriquer un équipement industriel), dès lors qu’elle peut prouver que l’événement de Covid-19 empêche totalement l’exécution de son obligation, ou qu’il faudrait mettre en place des mesures tellement onéreuses que son exécution aurait pour effet de vider le contrat de tout intérêt économique.
Il s’agit donc d’une appréciation au cas par cas, qui tiendra compte par exemple des difficultés de personnel, de la fermeture d’un établissement par décision gouvernementale, ou encore de l’impossibilité de se procurer du matériel de protection pour terminer un chantier.
Il faut néanmoins relever que la jurisprudence française est très frileuse et n’applique que très rarement la notion de force majeure. Celle-ci a notamment été écartée dans deux décisions récentes, relatives à la grippe H1N1 (CA Besançon 8 janvier 2014) et au Chickungunya (CA Basse-Terre, 17 déc. 2018). La maladie d’un entrepreneur individuel a cependant été reconnue comme un cas de force majeure, le dispensant d’exécuter sa propre prestation (Ass. Plen, 14 avril 2006).
Il est possible que les tribunaux adoptent une position différente pour le Covid-19, notamment au regard de la position gouvernementale, mais il convient de rappeler que les juges sont indépendants, et ne sont pas tenus par les déclarations du gouvernement…
A noter que, si la force majeure est reconnue (par les tribunaux ou par les parties), elle permet à la partie impactée de suspendre le contrat, tant que son empêchement est temporaire. En revanche, s’il est définitif, chaque Partie peut résilier sans préavis ni indemnité. La force majeure a en effet pour autre effet d’exonérer la partie qui est objectivement en manquement (celle qui doit fournir un bien ou une prestation) de toute responsabilité contractuelle.
Il faut cependant rappeler que la force majeure peut être contractuellement écartée par les Parties, auquel cas on ne peut plus l’invoquer, quelle que soit la situation. L’article 1218 n’est en effet que supplétif et non impératif.
Rien n’est donc automatique, et la force majeure ne peut pas nécessairement permettre de suspendre une prestation et, encore moins, un paiement.
Mais il existe peut-être d'autres solutions...
A suivre dans l'épisode 2.
Josquin Louvier, Avocat