Focus sur : l‘exécution forcée du pacte d’actionnaires
Pour rappel, le pacte d’actionnaires est un contrat conclu entre deux ou plusieurs actionnaires d’une SA ou d’une SAS, en vue d’organiser leurs relations. Si ce contrat présente de nombreux avantages, sa principale faiblesse, et pas des moindres, réside dans la sanction réservée aux cas d’inexécution des clauses du pacte.
Avant la réforme, la partie qui n’exécutait pas son engagement ne pouvait être poursuivie qu’en paiement de dommages et intérêts (ancien article 1142 du Code civil), l’exécution forcée en nature n’étant possible que par exception dans les rares cas où aucune impossibilité morale, juridique et matérielle ne l’empêchait (CA Paris, 21 décembre 2001, n° 01/9384). Cela contribuait donc à fragiliser la force obligatoire du pacte et par la même son efficacité. C’est pourquoi, la réforme de 2016 a tenté de remédier à ce problème.
L’exécution forcée désormais applicable au pacte d’actionnaires
Dorénavant, l’article 1217 du Code civil énumère les sanctions applicables aux cas d’inexécution d’une obligation, au titre desquelles vient l’exécution forcée de l’obligation. Le principe de l’ancien article 1142 selon lequel toute inexécution d’une obligation de faire ou de ne pas faire est sanctionnée par des dommages et intérêts est donc abandonné.
L’article 1221 du Code civil dispose que : « Le créancier d'une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l'exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s'il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier ». Ainsi, le recours à l’exécution forcée est accordé au créancier d’une obligation, au simple moyen d’une mise en demeure dont la forme est libre. En cas de mise en demeure infructueuse, la victime pourra alors se tourner vers le juge du tribunal de commerce pour demander l’exécution forcée du pacte d’actionnaires (CA Paris, 6 novembre 2018, n° 18/05751).
Si une disposition de droit commun a été insérée dans le Code, d’autres dispositions visent quant à elles certaines clauses spécifiques habituellement prévues dans les pactes d’actionnaires.
- Exécution forcée d’une clause de préemption : c’est l’article 1123 alinéa 2 du Code de civil, relatif au pacte de préférence, qui trouvera à s’appliquer. Ainsi, si un contrat est conclu avec un tiers en violation de la clause de préemption, le bénéficiaire de cette clause peut demander au juge la nullité de la cession ou de se voir transférer la propriété desdites actions, à condition toutefois de prouver que le tiers connaissait l’existence du pacte et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir.
- Exécution forcée d’une clause de promesse unilatérale de cession d’actions : au terme de l’article 1124 alinéa 2 du Code civil, la révocation par le promettant de sa promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter, n’empêche pas la formation du contrat. Cette exécution forcée ne sera possible que dans l’hypothèse où le bénéficiaire lève l’option pendant le délai convenu, même après révocation du promettant.
Les difficultés persistantes à l’exécution forcée d’un pacte d’actionnaires
Outre les cas d’impossibilité et de disproportion manifeste visés à l’article 1221, il est des hypothèses dans lesquelles l’exécution forcée est empêchée par des éléments extérieurs.
- Exécution forcée et cession d’actions à un tiers de bonne foi : en vertu de l’effet relatif des contrats, le pacte d’actionnaire n’est, en principe, pas opposable aux tiers. Seule la preuve d’une collusion frauduleuse entre le tiers acquéreur et le signataire du pacte pourrait permettre de recourir à l’article 1123 du Code civil. Or, la bonne foi étant présumée, c’est à la victime de la violation de rapporter la preuve de la mauvaise foi du tiers, laquelle peut être difficile à établir du fait de la confidentialité du pacte. L’exécution forcée du pacte peut donc se trouver compromise.
- Exécution forcée et décision d’organe social : la jurisprudence a reconnu que la méconnaissance d’une stipulation d’un pacte d’actionnaire ne peut pas être une cause de nullité d’une décision prise par un organe social (CA Paris, 1er octobre 2013, n°12/17788). Partant, l’exécution forcée du pacte semble possible au titre de l’article 1221 du Code civil, à condition toutefois qu’elle ne conduise pas à remettre en cause une décision adoptée par un organe social.
Ainsi, si des avancées législatives ont permis de renforcer l’efficacité du pacte d’actionnaires au moyen de l’exécution forcée, force est de constater que certaines insécurités juridiques quant à son exécution demeurent. Les parties peuvent donc avoir intérêt à inclure dans le pacte d’actionnaires ou dans un avenant, une clause reconnaissant la possibilité de recourir à l’exécution forcée en cas d’inexécution d’une obligation par l’un des cocontractants.
Le cabinet LECLERE & LOUVIER se tient à la disposition de ses clients pour les accompagner dans la rédaction d’un pacte d’actionnaires ou pour tout litige relatif à son exécution.
Article rédigé par Justine PAJOT, étudiante en Master 1 Droit de la propriété intellectuelle, sous la supervision de J. Louvier