Limitation des pouvoirs d'un dirigeant social: inopposable aux tiers, rappelle la Cour de Cassation.

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Il est fréquent de voir le pouvoir des dirigeants sociaux limités par les statuts d’une société. Ces derniers peuvent en effet prévoir que le Gérant, le Président, ou le Directeur Général, ne pourront pas accomplir certains actes sans y être, au préalable, autorisés par l’assemblée générale des associés.

La limitation des pouvoirs du dirigeant peut être :

  • Quantitative : il s’agira d’obliger le dirigeant à solliciter l’autorisation des associés pour les actes engageant la société au-delà d’une certaine somme (par exemple, autorisation préalable requise pour tout achat supérieur à 10.000 €).
  • Qualitative : il s’agira d’obliger le dirigeant à solliciter l’autorisation des associés pour conclure certains types d’actes engageant la société (par exemple, la souscription d’un emprunt ou la conclusion d’un contrat de travail).

La limitation étant stipulée au sein des statuts, il n’est pas discutable qu’elle a vocation à s’appliquer aux relations entre la société et son dirigeant, entre la sociétés et ses associés, et entre les associés et le dirigeant.

Ainsi, le dirigeant ayant outrepassé ses pouvoirs en ne tenant pas compte de la limitation prévue aux statuts engagera sa responsabilité vis-à-vis de la société et des associés.

Toutefois, les actes seront nécessairement conclus par le dirigeant avec des tiers : une Banque, un fournisseur, un salarié…

Dans l’hypothèse où le dirigeant aura dépassé ses pouvoirs, quel sera le sort du contrat conclu en violation de la clause limitative ?

Il y a lieu de distinguer selon que l’on se place au niveau de la société, ou au niveau du tiers.

Inopposabilité de la limitation statutaire des pouvoirs du dirigeant par la société aux tiers

La société ne pourra jamais remettre en cause un contrat conclu par son dirigeant, en violation de la clause limitative de pouvoirs. En effet, les articles 1949 du Code civil (Sociétés civiles), L.221-5 (Sociétés en nom collectif), L.222.2 (Sociétés en commandite simple), L.223-18 (Sociétés à responsabilité limitée), L.225-26 (Sociétés anonymes), et L.227-6 (Sociétés par actions simplifiées) du Code de commerce prévoient que les clauses statutaires limitant les pouvoirs des dirigeants sociaux sont inopposables aux tiers.

Par conséquent, la société ne pourra se prévaloir de ce type de clause pour échapper à l’engagement souscrit par son dirigeant, et devra exécuter les obligations mises à sa charge par ce dernier.

Opposabilité de la limitation statutaire des pouvoirs du dirigeant par les tiers à la société

Dans deux arrêts rendus, l’un par la chambre commerciale le 14 février 2018, l’autre par la troisième chambre civile le 14 juin 2018, la Cour de cassation a rappelé le principe selon lequel les tiers pouvaient se prévaloir des limitations statutaires des pouvoirs du dirigeant, et les opposer à la société.

Dans la première affaire, une clause statutaire prévoyait que le gérant d’une société ne pouvait agir en justice au nom de la société sans y avoir été autorisée au préalable par une décision collective ordinaire des associés.

Nonobstant cette clause, ledit gérant a assigné un tiers en contrefaçon de marque sans requérir l’autorisation préalable des associés. Le tiers a soulevé la nullité de l’assignation pour défaut de pouvoir du gérant de la société. La Cour d’appel de Paris lui a donné gain de cause par un arrêt du 8 juin 2016, ce qui a été confirmé par la chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 14 février 2018, en réaffirmant qu’ « un tiers peut se prévaloir des statuts d’une personne morale pour justifier du défaut de pouvoir d’une personne à figurer dans un litige comme le représentant de celle-ci »[1].

Cette sanction est particulièrement sévère, quand on sait les conséquences de la nullité de l’assignation sur l’écoulement de la durée de prescription (une assignation nulle n’interrompt pas le cours de la prescription), ou sur les éventuelles procédures annexes (la nullité de l’assignation en contrefaçon emportera généralement nullité de la saisie-contrefaçon préalable).

Dans la seconde affaire, un Groupement Foncier Agricole connaissait également une clause limitant les pouvoirs de son gérant dans ses statuts, et qui rendait nécessaire l’approbation de l’assemblée générale nécessaire pour toute conclusion ou rupture de contrat de bail.

Le gérant du Groupement a délivré un congé à l’un des locataires du groupement, sans requérir au préalable l’autorisation de l’assemblée générale.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a considéré que le locataire pouvait se prévaloir de la limitation de pouvoirs, et l’opposer à la société. Il en résulte que le congé délivré au mépris de la clause limitative de pouvoirs est nul. Ce raisonnement a été validé par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 14 juin 2018[2].

Une telle solution laisse présager une opposabilité complète par les tiers des clauses limitatives de pouvoirs aux sociétés dont les statuts comportent ce type de clause.

Il est donc primordial d’être particulièrement vigilant, au stade de la constitution d’une société, ou de ses évolutions statutaires, quant à l’opportunité d’insérer ce type de clause dans les statuts.

En effet, contrairement à leur appellation, particulièrement trompeuse, ces clauses n’auront jamais pour effet direct de limiter les pouvoirs du dirigeant : les actes de ce dernier engageront systématiquement la société, sauf lorsque les tiers en décideront autrement. Ainsi, la validité des actes passés au mépris de la limitation de pouvoirs sera soumise à la seule volonté des tiers. Certes, la société pourra ensuite se retourner contre son dirigeant, mais la responsabilité de ce dernier sera souvent une maigre consolation au regard de la perte subie.

Pierre BRASQUIES, Avocat

 

[1] Cass. com. 14 février 2018, n°16-21.077.

[2] Cass. 3e civ. 14 juin 2018, n°16-28.672.